mercredi 26 avril 2017

Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, Michel Tournier - Critique littéraire

Vendredi ou Les Limbes du Pacifique,
Michel Tournier, 1967


·       L’auteur


              Michel Tournier est l’auteur du roman Vendredi ou Les Limbes du Pacifique. Né en 1924 et mort en 2016, il laisse dans nos esprits le souvenir d’un grand philosophe.
              La culture allemande, la musique et la religion catholique possèdent une grande place dans son éducation. Il découvre la pensée de Gaston Bachelard et suit des études de philosophie à la Sorbonne et à l’université de Tübingen. Ne recevant pas son agrégation pour devenir professeur de philosophie au lycée, il se reconvertit, bien qu’il garde ses deux passions : la philosophie, et la photographie. Il devient ainsi journaliste, puis écrivain. Il trouve par cette porte le moyen de faire passer les pensées des grands philosophes, tels Socrate et Kant. Pour son premier ouvrage, Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, il gagne le grand prix du roman de l’Académie Française. Deux ans plus tard, il est admis à l’Académie Française. Il part souvent en voyage, s’inspire des lieux et cultures visités, et ainsi continue d’écrire, ce qui a donné naissance à vingt-six autres romans, nouvelles, essais, etc.
              « Ses fables philosophiques sont lisibles à plusieurs niveaux, jusqu’à l’interprétation symbolique, et recherchent l’universalité par le retravail des mythes fondamentaux (Robinson, l’ogre, le nain, les doubles), sous la forme de parcours initiatiques vers une vérité supérieure. », nous raconte un article du site espacefrancais. (http://www.espacefrancais.com/michel-tournier/)

·       Résumé de l’œuvre


              Robinson Crusoé est un jeune homme de York navigant sur la solide Virginie en compagnie de marins commerçants. Dans le prologue, le capitaine, Pieter Van Deyssel, tire les cartes au jeune homme et prédit son avenir, dont les étapes de transformations qu’il va traverser.
              Par une nuit de tempête, ils échouent sur une île inconnue, entre Juan Fernandez et les côtes américaines. Seul survivant, il nomme les lieux « Ile de la Désolation » et commence une vie de désolation et de folie tout d’abord. Sans prendre en compte le temps qui passe, il se lance notamment dans la construction d’un gigantesque bateau qu’il ne pourra mettre à l’eau, ce qui le plonge dans une totale déshumanisation. Puis il se reprend, commence à compter les jours, recueille Tenn, le chien de l’équipage, et commence une vie de réflexion et de civilisation, toujours dans la solitude cependant. Ainsi il construit plusieurs bâtiments civilisés, et reprend l’ascendance sur la nature environnante et Speranza, le nouveau nom qu’il donne à l’île.
              Par la suite, Robinson observe l’arrivée d’indiens qui lui semblent ennemis, et ne s’approche pas d’eux. Il les voit cependant sacrifier un des leurs par le feu. Après leur départ, il renforce ses constructions, doute de son identité, et communique avec Speranza qui devient terre d’amour. La tribu indienne revient ensuite, désigne la victime à sacrifier, mais Robinson sauve le jeune homme grâce à des coups de feu distribué aux autres indiens. Il le baptise Vendredi, jour de leur rencontre, et l’initie à la vie civilisée. L’indien, heureux d’avoir la vie sauve, accepte de devenir son esclave.
              Cependant Vendredi reste d’origine « sauvage », et surprend Robinson par sa culture et ses absurdités. Un jour, par accident, il jette la pipe dans un baril de poudre après que Robinson l’ait surprit fumer. L’explosion détruit malheureusement tout ce qu’avait construit le Gouverneur de l’île, le chien est aussi tué, et ainsi la civilisation de Speranza disparait. Vendredi prend le dessus, et initie Robinson à la vie sauvage. Ils vivent par la suite tels deux frères, et plus tels un maître et son esclave.
              Un jour, un navire anglais, le Whitebird, débarque sur l’île. Robinson apprend alors qu’il vit sur Speranza depuis vingt-huit ans, et raconte son histoire. Cependant, il est devenu étranger à la culture occidentale et à l’avidité, et renonce à quitter son île. Le navire repart. Robinson s’aperçoit alors de la disparition de Vendredi, et est désespéré du retour de la solitude. Cependant, un enfant, le jeune mousse Neljapäev,, est resté sur Speranza, préférant la compagnie de Robinson à celle de l’équipage qui le maltraitait. Robinson, heureux, l’initie alors à la vie sauvage et le baptise Jeudi, jour du repos des enfants.

·       Œuvre de réécriture


              L’histoire commence au début du XVIIIème siècle. Alexander Selkirk, anglais, est retrouvé sur une île des côtes chiliennes où il vient de passer quatre ans de sa vie. Ayant perdu l’usage de la parole et des manières, il redevient peu à peu civilisé et raconte son incroyable aventure. Elle passionne l’occident, et inspire Daniel Defoe (1660-1731) pour son roman La vie et les aventures de Robinson Crusoé (1719). Le mythe est alors créé. Je dis mythe, car par la suite, de nombreux auteurs ont repris le personnage et l’histoire de Crusoé, dont notamment Johann David Wyss avec Le Robinson Suisse (1812), mais aussi Jules Vernes avec L’île Mystérieuse (1874), ou encore Giraudoux avec Suzanne et le Pacifique (1921) et William Golding avec Sa Majesté des mouches (1954), et bien d’autres. Michel Tournier avec ses deux œuvres, Vendredi ou Les Limbes du Pacifique (1967) et Vendredi ou La Vie Sauvage (1971), reprend cette légende ; ainsi ce roman est une œuvre de réécriture.
              Cependant, Tournier fait bien plus que réécrire ce mythe pour le moderniser. Tout d’abord il créer une rupture, en reprenant le nom de Vendredi dans son titre, le plaçant ainsi comme personnage principal, plutôt que le nom de Robinson Crusoé, contrairement à ses prédécesseurs.
              Ensuite, il écrit ce préambule, ou prologue, dans lequel Pieter Van Deyssel prédit l’avenir de Robinson, notamment toutes les étapes par lesquelles le naufragé va passer.
              Puis il procède à tout une réécriture de l’arrivée de Robinson. Alors que celui de Defoe prend conscience de sa situation et s’adapte rapidement tout en ne perdant pas courage, celui de Tournier se perd, désespère, et veut tout d’abord fuir, retourner dans le monde civilisé. Puis il donne de l’importance à toute la réflexion qui l’habite, se transforme en même temps qu’il transforme l’île, tandis que Defoe fait de suite agir son personnage et apprivoiser son environnement.
              Enfin, le Robinson de Tournier s’adapte à la vie sauvage et reste sur l’île après le départ du navire anglais mais sans Vendredi, tandis que celui de Defoe reste civilisé malgré la solitude et l’éloignement, et repart avec le capitaine du bateau anglais ainsi que son ami Vendredi. Par la suite, il reprend aussi les plantations qu’il tenait avant son naufrage.
              Ainsi Vendredi ou Les Limbes du Pacifique est bel et bien une réécriture du roman de Defoe. Cependant l’œuvre de Tournier diffère sur de nombreux points, rendant la lecture des deux différentes et intéressantes.

·       Les grands thèmes du roman


              La civilisation, la solitude, et l’apprentissage sont pour moi trois thèmes important dans ce roman.
              En effet, Robinson perd ses manières dans les premiers chapitres, puis on retrouve les étapes de civilisation dans l’histoire l’Homme lorsque Robinson sort de sa folie et redevient un homme civilisé. Enfin, cette civilisation occidentale est détruite quand Vendredi provoque l’accident, et réapparait avec les marins anglais, avant de disparaitre en même temps qu’eux.
              La solitude est elle aussi très présente. En effet, elle est le seul compagnon de Robinson jusqu’à sa rencontre avec Vendredi, et devient le sujet de plusieurs de ses réflexions. De plus, elle réapparait dans chaque moment de désolation de Robinson, ainsi que quand il apprend que Vendredi est reparti avec le navire anglais, l’abandonnant seul sur Speranza. Elle disparait définitivement peu de temps après, à l’apparition du jeune mousse Neljäpaev.
              L’apprentissage est l’un des thèmes les plus récurrents. Outre les nombreuses découvertes que Robinson fait sur Speranza, il réapprend la civilisation, l’écriture, etc. après sa période de folie et de déshumanisation. Puis il initie Vendredi à la civilisation, ensuite Vendredi lui montre la vie sauvage. Enfin il apprend des anglais depuis combien de temps il est naufragé, et enseigne à Jeudi, à son tour, la vie sauvage.
              Ainsi ces trois thèmes sont présents tout au long du roman, et suivent Robinson dans ses évolutions.

·       Extrait et illustrations


              J’ai choisis un extrait du chapitre 9, à partir de la page 178, alors que Robinson observe Vendredi, sa manière de vivre, etc. :

              « La liberté de Vendredi - à laquelle Robinson commença à s’initier les jours suivants - n’était pas que la négation de l’ordre effacé de la surface de l’île par l’explosion. Robinson savait trop bien, par le souvenir de ses premiers temps à Speranza, ce qu’était une vie désemparée, errant à la dérive et soumise à toutes les impulsions du caprice et à toutes les retombées du découragement, pour ne pas pressentir une unité cachée, un principe implicite dans la conduite de son compagnon.
              Vendredi ne travaillait à proprement parler jamais. Ignorant toute notion de passé et de futur, il vivait enfermé dans l’instant présent. Il passait des jours entiers dans un hamac de lianes tressées qu’il avait tendu entre deux poivriers, et du fond duquel il abattait parfois à la sarbacane les oiseaux qui venaient se poser sur les branches, trompés par son immobilité. Le soir, il jetait le produit de cette chasse nonchalante aux pieds de Robinson qui ne se demandait plus si ce geste était celui du chien fidèle qui rapporte, ou au contraire celui d’un maître si impérieux qu’il ne daigne même plus exprimer ses ordres. En vérité il avait dépassé dans ses relations avec Vendredi le stade de ces mesquines alternatives. Il l’observait, passionnément attentif à la fois aux faits et gestes de son compagnon et à leur retentissement en lui-même où ils suscitaient une métamorphose bouleversante. »
              J’ai choisi cet extrait par sa symbolisation de la dernière transformation de Robinson, celle que je préfère, où il accepte sa vie sur Speranza, l’apprécie, et vit de manière plus sauvage, plus simple.


              J’ai choisi, pour illustrer ce roman, quelques dessins :



              Robinson de son fortin observe les sauvages (Robinson Cursoé, Londres, 1863) de Morgan, Matthew Somerville, dit Matt Morgan (1837-1890), entre 1863 et 1864. Ce dessin fait parti d’une série disponible à l’adresse suivante :




        

      Je n’ai pas trouvé d’auteur ni de référence pour ce dessin. Je transmet donc l’adresse du site sur lequel je l’ai trouvé :





              Mais aussi plusieurs réécritures sous formes d’animation. En voilà deux, l’une sortie au cinéma, l’autre faite par un groupe d’élèves d’une école d’animation :
  •        le long-métrage Robinson Crusoé, de Ben Stassen et  Vincent Kesteloot ;
  •        le court-métrage Du tout cuit ! d’un groupe d’élèves de l’Esma (disponible sous le nom Full Movie HD Cartoon - Robinson Crusoe 3D Animation Short Film à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=eu7k0kSvnUo)

Satire de Célimène en alexandrins (du début à la fin)

Satire de Célimène, ou d’un vers plus finLa magnifique célèbre, et l’Alexandrin


Ô ! Célèbre Célimène, la magnifique
Pour son cher Alceste, Ô combien nostalgique
Possède des sentiments bien différents.
Ses gestes, ses paroles, vraiment si marquants
Font d’elle la Reine de sa Cour ridicule.
Molière, ses alexandrins et majuscules,
De grandes manières, qu’il affectionne,
Décrivent si bien l’hypocrite personne.
Ô ! Célèbre Célimène, la magnifique
Rit de ceux qu’elle sert, la langue acrobatique.
Cruelle, l’apparente grande littéraire
Tient salon au milieu de ses compères,
Les marquis ridicules, la cousine idiote,
Ainsi que l’aimant Philinte, compatriote,
Et son très cher Alceste, le grand Misanthrope.
Elle ne sait voir que depuis l’œil du cyclope,
Et construit sa parole de manière habile
Pour ses amis qui, oreille tendue, jubilent.
Célèbre Célimène, est la magnifique
Qui envers Alceste agit de façon cyclique.
Un coup amoureuse puis manipulatrice,
Devant les autres, elle est une grande actrice.
Oh ! Misanthrope elle-même, elle se cache,
Ne sait qui aimer et montre une fausse attache.
Première des plus grandes faiseuses d’histoires,
Elle donne quelques avis contradictoires
Selon qu’elle parle ou à maître ou à marquis
Et se montre honnête Femme en lieu conquis.
Célimène, médisante veuve galante,
La charmante et confiante discriminante,
Madame, ne sait seulement pas qui elle est
Et se cherche en elle comme nous l’avons fait.
Mais, me direz-vous, ce n’est pas une raison
Pour ainsi donner spectacle en pareils salons.
Je suis bien d’accord, et Molière nous aide
En faisant le portrait de cette femme laide.
Laide, quel mot ! Pourtant célèbre Célimène
Est connue pour sa grande beauté, ah ! sans haine.
Oh mais la plus cruelle des êtres, elle l’est !
Et pour la décrire ainsi d’un aussi bon trait,
Je ne connais que Jean Baptiste Poquelin,
Dit Molière, le plus habile des malins.


Maindiaux Clothilde, la jeune littéraire
Qui sur ce travail quelque peu autoritaire,
S’est, malgré le temps consacré, bien amusée,
Et recommencerait volontiers le sacré
Exercice d’une langue Antique et Classique,
Oh ! Qui est tout autant lyrique que magique.
J’espère donc que mon principal Professeur,
Apprécie cette toute petite douceur,
Sans penser un petit instant que Célimène
Ne m’ait transmis par la pensée un mauvais gène.
Maindiaux Clothilde, la jeune littéraire

En première L, filière la plus solaire.

Intérieur, Pierre Bonnard - Histoire de l'art

Pierre Bonnard, Intérieur, 1905 



Introduction

             
              Au cours de notre séquence sur l’écriture poétique et la quête du sens axée sur l’étude des fenêtres, nous avons pu voir divers poèmes de Baudelaire, Éluard et Verlaine notamment. Nous avons pu voir que la fenêtre peut représenter un cadre, mais aussi un mystère, ou même un moyen d’apprendre et d’observer. Cependant, pouvons-nous voir la même réponse dans les diverses peintures de fenêtres ? Nous allons ainsi étudier Intérieur, de Pierre Bonnard. En premier lieu, nous parlerons de l’auteur, de sa biographie, ses influences, etc. Puis, en second lieu, nous verrons la peinture en elle-même, ainsi que sa portée, son sens, etc.


L’auteur, Pierre Bonnard


a)    Sa biographie


Pierre Bonnard est né en 1867 et mort à 80 ans. Il est peintre, graveur, illustrateur et sculpteur. Il peint divers éléments, tels que des personnages, ou des natures mortes, et est un artiste postimpressionniste membre des nabis.
              Pierre Bonnard possède de nombreux centres d’intérêt, comme par exemple les lettres, les langues, la philosophie et les couleurs. Il va respecter les choix de son père en suivant des études de droit après avoir obtenu son baccalauréat. Cependant, il va assister en parallèle aux cours de l’Académie Julian avant d’être admis aux beaux-arts de Paris. Il y rencontre Edouard Vuillard, l’un de ses plus grands amis, et découvre notamment Monet et Cézanne.
              Après de nombreux voyages en compagnie de ses amis en Italie, en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas dans les années 1900, l’artiste trouve sa voie dans l’impressionnisme et rencontre Marthe, son modèle et sa future épouse.
              Il s’éteint en 1947, après avoir réalisé de nombreuses œuvres. Deux célébrations lui seront accordées : la première au musée de l’Orangerie à Paris, la seconde au Museum of Modern Art (ou MoMA) à New York.

b)   Sa formation, ses influences


Je ne pourrai pas mieux décrire la peinture de Bonnard que le rédacteur de la biographie de l’artiste sur le site du musée Bonnard lui-même « Homme des XIXème et XXème siècles, la personnalité de Bonnard s’est façonnée entre la fin de l’impressionnisme, le mouvement nabi dont il est l’un des principaux artisans, pour ensuite s’affranchir de tout courant artistique et de toute convention développant une image très personnelle. Prédomine alors son regard sensible sur le monde dans lequel une nature enchantée, vibrante et lumineuse s’oppose à la réalité. Sous une apparence de tranquille simplicité, l’œuvre de Bonnard se révèle complexe, pleine de nuances et comme détachée du temps. »



L’œuvre, Intérieur


   a)    Sa description – techniques, support, etc.


Intérieur est une peinture à l’huile réalisée aux environs de 1905.
Sur la droite de l’image, un jeune arçon ou une jeune femme aux cheveux courts a les yeux mi-clos. Habillé d’une veste noire au-dessus d’un pull beige-vert et d’un nœud bleu et rouge, le personnage assis semble insouciant.
Sur la gauche, un miroir surmonte ce qui semble être un fauteuil. Par le reflet dudit miroir, on peut apercevoir la chambre, un fauteuil, un lit, et un meuble, ainsi qu’une fenêtre aux rideaux écartés laissant apparaitre l’extérieur. Nous pouvons y voir notamment une montagne. Le fond du mur sur lequel est accroché le miroir est dans les tons beiges.

   b)   Sa portée, son sens


L’absence du miroir créerait un espace fermé dans ce tableau. Le personnage serait assoupi, insouciant, mais comme emprisonné. Cependant, l’ajout du reflet change du tout au tout l’ambiance générale de la peinture.
En effet, le miroir permet un aperçu de la chambre, ce qui déjà agrandi l’espace. Mais, en plus de la chambre, on peut voir dans le reflet une fenêtre aux rideaux grands ouverts, laissant passer la lumière dans la pièce. Cette ouverture sur l’extérieur permet d’agrandir le lieu, et par extension la profondeur du tableau.
De plus, les couleurs sont plus claires au niveau du miroir et de la fenêtre. Notre regard est attiré par la luminosité, et se pose sur ces deux éléments. L’artiste nous montre donc la pièce, et plus précisément l’extérieur, ce qui peut nous faire penser que celui est plus intéressant que le personnage clé du tableau lui-même.

Conclusion



Ainsi, la fenêtre est ici un moyen d’ouvrir un espace, d’agrandir la pièce, mais aussi d’attirer notre regard sur un point précis : l’extérieur. Peut-être l’artiste veut-il que nous nous intéressions à la montagne, au lieu de l’habitat, ou même au temps qu’il fait, etc. Nous pouvons aussi nous demander comment Dali ou encore Vermeer attirent nos regards sur les fenêtres de leur tableau.


Liseuse à la fenêtre, Johannes Vermeer, vers 1657
Jeune fille à la fenêtre, Salvador Dali, 1925




















Maindiaux Clothilde

Amies, Les Fêtes Galantes, La Bonne Chanson, Paul Verlaine - Critique littéraire

Paul Verlaine

  • Amies
  • Les Fêtes Galantes
  • La Bonne Chanson



Poème introductif 

La Bonne ChansonXII


Va, chanson, à tire-d’aile
Au devant d’elle, et dis-lui
Bien que dans mon cœur fidèle
Un rayon joyeux a lui,

                    Dissipant, lumière sainte,
                    Ces ténèbres de l’amour :
                    Méfiance, doute, crainte
Et que voici le grand jour !

Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? la gaîté
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chanté.

Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revint enfin.



Paul Verlaine, le poète


Paul Verlaine, monstre de la poésie française, est né en 1844 et est mort à l’âge de 52 ans. Fortement influencé par Baudelaire et par le mouvement du Parnasse, ses poèmes parlent tout d’abord des malheurs de sa jeunesse ; il écrit les Poèmes Saturniens (1866) à 22 ans, et se désigne ainsi comme étant un poète maudit. Peu de temps après, il écrit les Amies (1867), recueil révélant son penchant pour l’amour entre personnes du même sexe. Sa rencontre avec Mathilde Mauté en 1869 va le bouleverser, à tel point qu’ils seront mariés un an plus tard. Cet amour permettra aussi la naissance de deux recueils, Les Fêtes Galantes en 1869 et La Bonne Chanson, poèmes dédiés à Mathilde, en 1870.
Cependant, sa rencontre avec Rimbaud à Paris cette année-là va tout changer. Fous d’amour l’un pour l’autre, ils s’enfuiront à Bruxelles avant qu’un drame ne les sépare : Verlaine tire deux coups de feu sur son amant en juillet 1873 sous le coup de la colère, mettant fin à leur relation.
Suite à cela, le poète ira deux ans en prison. L’influence de Rimbaud se ressentira dans Romance sans parole (1874), et sa conversion soudaine à la religion se verra dans Sagesse (1881), où il intègre aussi quelques poèmes réalisés en prison et faisant en quelque sorte un bilan de sa vie.
Après deux derniers recueils de poésie, Jadis et naguère et Parallèlement en 1884, il écrit un ouvrage d’hommage et de critique, les Poètes maudits, en 1888, et revient ainsi sur l’évolution poétique des Parnassiens, de Baudelaire à Mallarmé.
Verlaine, malgré sa célébrité auprès de ses pairs qui le surnomment Prince des poètes, s’éteint misérablement en 1896 d’une congestion pulmonaire.




L’amour homosexuel 

Les AmiesSur le balcon


Toutes deux regardaient s’enfuir les hirondelles ;
L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages, autour d’elles.

Et toutes deux, avec des langueurs d’asphodèles,
Tandis qu’au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits l’émotion profonde
Du soir, et le bonheur triste des cœurs fidèles.

Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
Telles sur le balcon rêvaient les jeunes femmes.

Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrame,
Et plein d’odeurs, le lit défait s’ouvrait dans l’ombre.


          Sonnet d’alexandrins du registre lyrique, ce poème parle d’amour entre deux femmes. Très érotique et donc peu apprécié à l’époque, il a été écrit par Verlaine peu avant sa rencontre avec Mathilde, et illustre parfaitement son penchant homosexuel qui se révèlera plus tard dans sa relation avec Rimbaud par la relation charnelle entre ces deux femmes.


La Femme    

Les Fêtes GalantesCortège


Un singe en veste de brocart
Trotte et gambade devant elle
Qui froisse un mouchoir de dentelle
Dans sa main gantée avec art,

Tandis qu’un négrillon tout rouge
Maintient à tour de bras les pans
De sa lourde robe en suspens,
Attentif à tout pli qui bouge ;

Le singe ne perd pas des yeux
La gorge blanche de la dame,
Opulent trésor que réclame
Le torse nu de l’un des dieux ;

Le négrillon parfois soulève
Plus haut qu’il ne faut, l’aigrefin,
Son fardeau somptueux, afin
De voir ce dont la nuit il rêve ;

Elle va par les escaliers,
Et ne paraît pas davantage
Sensible à l’insolent suffrage
De ses animaux familiers.


          Ce poème est composé de cinq quatrains aux vers à huit pieds et de rimes régulières. D’un thème plutôt classique, il révèle cependant un mauvais penchant des hommes par la métaphore des animaux utilisée pour désigner les valets. Ecrit par Verlaine entre les Poèmes Saturniens et sa rencontre avec Mathilde, au milieu des Amies, il parle d’une femme rêvée, montrant ainsi le trouble du poète par rapport à ses attirances physiques.


L’amour


Illustration du thème :
Je l’aime à mourir de Francis Cabrel

La Bonne ChansonXV


J’ai presque peur, en vérité,
Tant je sens ma vie enlacée
A la radieuse pensée
Qui m’a pris l’âme l’autre été,

Tant votre image, à jamais chère,
Habite en ce cœur tout à vous,
Mon cœur uniquement jaloux
De vous aimer et de vous plaire ;

Et je tremble, pardonnez-moi
D’aussi franchement vous le dire,
A penser qu’un mot, un sourire
De vous est désormais ma loin,

Et qu’il vous suffirait d’un geste,
D’une parole ou d’un clin d’œil,
Pour mettre tout mon être en deuil
De son illusion céleste.

Mais plutôt je ne veux vous voir,
L’avenir dût-il m’être sombre
Et fécond en peines sans nombre,
Qu’à travers un immense espoir,

Plongé dans ce bonheur suprême
De me dire encore et toujours,
En dépit des mornes retours,
Que je vous aime, que je t’aime !


          Ce poème, composé de six quatrains de rimes embrassées chacun, possède des vers de huit pieds exactement. Quinzième billet écrit pour Mathilde, il montre l’amour qu’éprouve Verlaine pour sa femme. Magnifique déclaration, le dernier vers se termine en effet par un passage au tutoiement sur le « que je t’aime ! », faisant ainsi entrer cette œuvre dans le grand thème de l’amour, et, plus précisément, dans un certain registre lyrique.



Impressions personnelles


          Le premier poème du recueil que j’ai sélectionné (Fêtes Galantes, La Bonne Chanson précédées des Amies de l’édition Le Livre de Poche, 2015), Sur le balcon, m’a quelque peu étonnée. En effet, j’avais déjà lu Mon rêve familier, Chanson d’Automne et, plus récemment, le sixième poème de la troisième partie du recueil Sagesse, sans compter quelques autres œuvres à mes heures perdues, et je savais que Verlaine avait eu une relation avec Rimbaud. Cependant, je ne connaissais pas encore ce poète perdu dans ses amours que j’ai découvert tout au long des Amies, mais aussi des deux autres recueils de ce livre. Passé ce premier temps de surprise, j’ai finalement trouvé agréable qu’un poète, au XIXème siècle déjà, fasse l’éloge de l’amour homosexuel, qui, encore aujourd’hui, est mal considéré.
          Tout au long de ces trois recueils, j’ai aussi pu découvrir un poète tourmenté, parfois incompréhensible –comme peut nous le prouver Sur l’herbe, poème que je ne comprends toujours pas-, mais aussi rêveur et amoureux, comme par exemple dans le premier poème de son recueil La Bonne Chanson.
          J’ai ainsi été tour à tour déboussolée, étonnée, enchantée et même émue, surtout dans le recueil dédié à Mathilde. Cette expérience fut belle, et je prends grand plaisir à relire certains poèmes du Prince des poètes.


Maindiaux
Clothilde

1L