Vendredi ou Les Limbes du
Pacifique,
Michel Tournier, 1967
· L’auteur
Michel
Tournier est l’auteur du roman Vendredi ou Les Limbes du Pacifique.
Né en 1924 et mort en 2016, il laisse dans nos esprits le souvenir d’un grand philosophe.
La
culture allemande, la musique et la religion catholique possèdent une grande
place dans son éducation. Il découvre la pensée de Gaston Bachelard et suit des
études de philosophie à la Sorbonne et à l’université de Tübingen. Ne recevant
pas son agrégation pour devenir professeur de philosophie au lycée, il se
reconvertit, bien qu’il garde ses deux passions : la philosophie, et la
photographie. Il devient ainsi journaliste, puis écrivain. Il trouve par cette
porte le moyen de faire passer les pensées des grands philosophes, tels Socrate
et Kant. Pour son premier ouvrage, Vendredi ou Les Limbes du
Pacifique, il gagne le grand prix du roman de l’Académie Française. Deux
ans plus tard, il est admis à l’Académie Française. Il part souvent en voyage,
s’inspire des lieux et cultures visités, et ainsi continue d’écrire, ce qui a donné
naissance à vingt-six autres romans, nouvelles, essais, etc.
« Ses
fables philosophiques sont lisibles à plusieurs niveaux, jusqu’à
l’interprétation symbolique, et recherchent l’universalité par le retravail des
mythes fondamentaux (Robinson, l’ogre, le nain, les doubles), sous la forme de
parcours initiatiques vers une vérité supérieure. », nous raconte un
article du site espacefrancais. (http://www.espacefrancais.com/michel-tournier/)
· Résumé de l’œuvre
Robinson
Crusoé est un jeune homme de York navigant sur la solide Virginie en compagnie de marins commerçants. Dans le prologue, le
capitaine, Pieter Van Deyssel, tire les cartes au jeune homme et prédit son
avenir, dont les étapes de transformations qu’il va traverser.
Par une
nuit de tempête, ils échouent sur une île inconnue, entre Juan Fernandez et les
côtes américaines. Seul survivant, il nomme les lieux « Ile de la
Désolation » et commence une vie de désolation et de folie tout d’abord. Sans
prendre en compte le temps qui passe, il se lance notamment dans la
construction d’un gigantesque bateau qu’il ne pourra mettre à l’eau, ce qui le
plonge dans une totale déshumanisation. Puis il se reprend, commence à compter
les jours, recueille Tenn, le chien de l’équipage, et commence une vie de
réflexion et de civilisation, toujours dans la solitude cependant. Ainsi il
construit plusieurs bâtiments civilisés, et reprend l’ascendance sur la nature
environnante et Speranza, le nouveau nom qu’il donne à l’île.
Par la
suite, Robinson observe l’arrivée d’indiens qui lui semblent ennemis, et ne
s’approche pas d’eux. Il les voit cependant sacrifier un des leurs par le feu.
Après leur départ, il renforce ses constructions, doute de son identité, et
communique avec Speranza qui devient terre d’amour. La tribu indienne revient
ensuite, désigne la victime à sacrifier, mais Robinson sauve le jeune homme grâce
à des coups de feu distribué aux autres indiens. Il le baptise Vendredi, jour
de leur rencontre, et l’initie à la vie civilisée. L’indien, heureux d’avoir la
vie sauve, accepte de devenir son esclave.
Cependant
Vendredi reste d’origine « sauvage », et surprend Robinson par sa
culture et ses absurdités. Un jour, par accident, il jette la pipe dans un
baril de poudre après que Robinson l’ait surprit fumer. L’explosion détruit
malheureusement tout ce qu’avait construit le Gouverneur de l’île, le chien est
aussi tué, et ainsi la civilisation de Speranza disparait. Vendredi prend le
dessus, et initie Robinson à la vie sauvage. Ils vivent par la suite tels deux
frères, et plus tels un maître et son esclave.
Un jour,
un navire anglais, le Whitebird,
débarque sur l’île. Robinson apprend alors qu’il vit sur Speranza depuis
vingt-huit ans, et raconte son histoire. Cependant, il est devenu étranger à la
culture occidentale et à l’avidité, et renonce à quitter son île. Le navire
repart. Robinson s’aperçoit alors de la disparition de Vendredi, et est
désespéré du retour de la solitude. Cependant, un enfant, le jeune mousse Neljapäev,,
est resté sur Speranza, préférant la compagnie de Robinson à celle de
l’équipage qui le maltraitait. Robinson, heureux, l’initie alors à la vie
sauvage et le baptise Jeudi, jour du repos des enfants.
· Œuvre de réécriture
L’histoire
commence au début du XVIIIème siècle. Alexander Selkirk, anglais, est retrouvé sur une île des côtes
chiliennes où il vient de passer quatre ans de sa vie. Ayant perdu l’usage de
la parole et des manières, il redevient peu à peu civilisé et raconte son
incroyable aventure. Elle passionne l’occident, et inspire Daniel Defoe
(1660-1731) pour son roman La vie et les aventures de Robinson Crusoé
(1719). Le mythe est alors créé. Je dis mythe, car par la suite, de nombreux
auteurs ont repris le personnage et l’histoire de Crusoé, dont notamment Johann
David Wyss avec Le Robinson Suisse (1812), mais aussi Jules Vernes avec L’île
Mystérieuse (1874), ou encore Giraudoux avec Suzanne et le Pacifique (1921) et William Golding avec Sa Majesté des mouches (1954),
et bien d’autres. Michel Tournier avec ses deux œuvres, Vendredi ou Les
Limbes du Pacifique (1967) et Vendredi ou La Vie Sauvage (1971),
reprend cette légende ; ainsi ce roman est une œuvre de réécriture.
Cependant, Tournier fait bien plus
que réécrire ce mythe pour le moderniser. Tout d’abord il créer une rupture, en
reprenant le nom de Vendredi dans son titre, le plaçant ainsi comme personnage
principal, plutôt que le nom de Robinson Crusoé, contrairement à ses
prédécesseurs.
Ensuite, il écrit ce préambule, ou
prologue, dans lequel Pieter Van Deyssel prédit l’avenir de Robinson, notamment
toutes les étapes par lesquelles le naufragé va passer.
Puis il procède à tout une
réécriture de l’arrivée de Robinson. Alors que celui de Defoe prend conscience
de sa situation et s’adapte rapidement tout en ne perdant pas courage, celui de
Tournier se perd, désespère, et veut tout d’abord fuir, retourner dans le monde
civilisé. Puis il donne de l’importance à toute la réflexion qui l’habite, se
transforme en même temps qu’il transforme l’île, tandis que Defoe fait de suite
agir son personnage et apprivoiser son environnement.
Enfin, le Robinson de Tournier
s’adapte à la vie sauvage et reste sur l’île après le départ du navire anglais
mais sans Vendredi, tandis que celui de Defoe reste civilisé malgré la solitude
et l’éloignement, et repart avec le capitaine du bateau anglais ainsi que son
ami Vendredi. Par la suite, il reprend aussi les plantations qu’il tenait avant
son naufrage.
Ainsi Vendredi ou Les Limbes du
Pacifique est bel et bien une réécriture du roman de Defoe. Cependant l’œuvre
de Tournier diffère sur de nombreux points, rendant la lecture des deux
différentes et intéressantes.
· Les grands thèmes du roman
La
civilisation, la solitude, et l’apprentissage sont pour moi trois thèmes
important dans ce roman.
En effet,
Robinson perd ses manières dans les premiers chapitres, puis on retrouve les
étapes de civilisation dans l’histoire l’Homme lorsque Robinson sort de sa
folie et redevient un homme civilisé. Enfin, cette civilisation occidentale est
détruite quand Vendredi provoque l’accident, et réapparait avec les marins
anglais, avant de disparaitre en même temps qu’eux.
La
solitude est elle aussi très présente. En effet, elle est le seul compagnon de
Robinson jusqu’à sa rencontre avec Vendredi, et devient le sujet de plusieurs
de ses réflexions. De plus, elle réapparait dans chaque moment de désolation de
Robinson, ainsi que quand il apprend que Vendredi est reparti avec le navire
anglais, l’abandonnant seul sur Speranza. Elle disparait définitivement peu de
temps après, à l’apparition du jeune mousse Neljäpaev.
L’apprentissage
est l’un des thèmes les plus récurrents. Outre les nombreuses découvertes que
Robinson fait sur Speranza, il réapprend la civilisation, l’écriture, etc.
après sa période de folie et de déshumanisation. Puis il initie Vendredi à la
civilisation, ensuite Vendredi lui montre la vie sauvage. Enfin il apprend des
anglais depuis combien de temps il est naufragé, et enseigne à Jeudi, à son
tour, la vie sauvage.
Ainsi ces
trois thèmes sont présents tout au long du roman, et suivent Robinson dans ses
évolutions.
· Extrait et illustrations
J’ai
choisis un extrait du chapitre 9, à partir de la page 178, alors que Robinson
observe Vendredi, sa manière de vivre, etc. :
« La
liberté de Vendredi - à laquelle Robinson commença à s’initier les jours
suivants - n’était pas que la négation de l’ordre effacé de la surface de l’île
par l’explosion. Robinson savait trop bien, par le souvenir de ses premiers
temps à Speranza, ce qu’était une vie désemparée, errant à la dérive et soumise
à toutes les impulsions du caprice et à toutes les retombées du découragement,
pour ne pas pressentir une unité cachée, un principe implicite dans la conduite
de son compagnon.
Vendredi
ne travaillait à proprement parler jamais. Ignorant toute notion de passé et de
futur, il vivait enfermé dans l’instant présent. Il passait des jours entiers
dans un hamac de lianes tressées qu’il avait tendu entre deux poivriers, et du
fond duquel il abattait parfois à la sarbacane les oiseaux qui venaient se
poser sur les branches, trompés par son immobilité. Le soir, il jetait le
produit de cette chasse nonchalante aux pieds de Robinson qui ne se demandait
plus si ce geste était celui du chien fidèle qui rapporte, ou au contraire
celui d’un maître si impérieux qu’il ne daigne même plus exprimer ses ordres.
En vérité il avait dépassé dans ses relations avec Vendredi le stade de ces
mesquines alternatives. Il l’observait, passionnément attentif à la fois aux
faits et gestes de son compagnon et à leur retentissement en lui-même où ils
suscitaient une métamorphose bouleversante. »
J’ai
choisi cet extrait par sa symbolisation de la dernière transformation de
Robinson, celle que je préfère, où il accepte sa vie sur Speranza, l’apprécie,
et vit de manière plus sauvage, plus simple.
J’ai
choisi, pour illustrer ce roman, quelques dessins :
Robinson
de son fortin observe les sauvages (Robinson Cursoé, Londres, 1863) de Morgan,
Matthew Somerville, dit Matt Morgan (1837-1890), entre 1863 et 1864. Ce dessin
fait parti d’une série disponible à l’adresse suivante :
Je n’ai
pas trouvé d’auteur ni de référence pour ce dessin. Je transmet donc l’adresse
du site sur lequel je l’ai trouvé :
Mais
aussi plusieurs réécritures sous formes d’animation. En voilà deux, l’une
sortie au cinéma, l’autre faite par un groupe d’élèves d’une école d’animation :
- le long-métrage Robinson Crusoé, de Ben Stassen et Vincent Kesteloot ;
- le court-métrage Du tout cuit ! d’un groupe d’élèves de l’Esma (disponible sous le nom Full Movie HD Cartoon - Robinson Crusoe 3D Animation Short Film à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=eu7k0kSvnUo)